Innovation durable :
L’intelligence artificielle éthique de Whale Seeker

Whale Seeker tire parti de l’IA pour simplifier la surveillance et la protection des baleines.
Flots a le plaisir de s’entretenir avec Emily Charry Tissier, PDG de Whale Seeker. La startup basée à Montréal – participante au programme d’accélération marine Flots pro de Novarium – comble le fossé entre rentabilité et durabilité. Fondée en 2018 par Emily Charry Tissier (biologiste), Antoine Gagné-Turcotte (développeur) et Bertrand Charry (biologiste), l’entreprise a pour objectif de rendre la détection des baleines aussi rapide, facile, précise et abordable que possible pour sa clientèle principale : des entreprises et des organisations des secteurs du conseil en environnement, de l’énergie et des transports, du gouvernement et de la conservation. Leur objectif est d’aider à la conservation des baleines tout en impactant le moins possible l’industrie de la pêche. Pour cela, ils ont besoin de données actionnables pour les décideurs. Cela signifie de connaître l’emplacement exact des baleines afin que les mesures de mitigation aient le plus d’impact possible pour éviter les collisions et les dérangements causés par l’activité humaine en mer. Comme une suite logique à leur mission, l’équipe de Whale Seeker travaille aussi à démocratiser l’intelligence artificielle éthique. “Ce que nous créons est important, mais comment nous le créons l’est tout autant,” nous assure la directrice générale. Certifiée B Corp, l’entreprise a atteint les normes vérifiées les plus élevées en matière de performances sociales et environnementales, de transparence et de responsabilité.


De biologistes à innovateurs
“Tout a commencé avec le projet de maîtrise de Bertrand pour le Fonds mondial pour la nature (WWF-Canada) qui souhaitait mieux connaître l’habitat des narvals dans l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imangala, dans le territoire du Nunavut, à l’aide d’images aériennes.” Pour Emily, c’était une opportunité de travailler avec son partenaire sur un projet scientifique lui tenant à cœur et qui, sans le savoir, allait faire mousser sa graine d’entrepreneure. La recherche visait à créer des protocoles pour faciliter l’analyse des comportements des baleines en observant la manière dont elles sont positionnées sur l’image. “On peut tirer tellement plus que le nombre de baleines sur une photo, notamment mieux connaître la tendance démographique des populations, le ratio de mâles et de femelles, la présence de nouveaux nés, etc.” Bertrand et Emily ont donc passé en revue plus de 6 000 images, une à la fois. “Il y a 5 ans, c’était beaucoup, sachant que ça peut prendre de trois minutes à une heure pour chaque photo, notamment si l’on voit plusieurs baleines et dépendamment de l’état de la mer. Aujourd’hui, c’est un petit chiffre pour nous!”

En faisant tout à la main, malgré leur rigueur, les chercheurs n’étaient pas à l’abri des biais humains et de l’incertitude de certaines images. “Comment comparer les résultats et prendre une décision éclairée si les observateurs changent d’une année à l’autre? C’était frustrant, sachant que je suis passionnée par l’exactitude des données, je me suis donc tourné vers les IA pour solutionner notre petit contrat.” À ce moment, les seules solutions qu’Emily pouvait trouver étaient loin d’être accessibles et hors de prix. “Ça demandait tellement d’énergie de trouver la bonne personne capable de nous fournir la bonne technologie. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas le faire nous-même et le rendre accessible?” C’est de cette manière que Whale Seeker est né. Il ne manquait plus qu’à trouver quelqu’un de doué en IA qui souhaitait se joindre à eux. “J’ai trouvé Antoine au Parc à chien près de chez moi. La bonne personne était dans mon quartier immédiat! En discutant avec lui, on s’est rendu compte qu’il y avait un match parfait, il est aujourd’hui notre troisième fondateur et directeur des technologies!” Aujourd’hui l’équipe est formée de biologistes, d’écologistes, de scientifiques des données, de développeurs de logiciels et de spécialistes de l’IA qui travaillent de pair, en multidisciplinarité pour bénéficier de l’IA afin de fournir de meilleures données de détection des baleines.
Sachant que les organismes gouvernementaux et réglementaires sont tenus à une législation toujours plus stricte qui oblige les opérateurs et les industries maritimes à suivre et à minimiser leurs impacts sur les écosystèmes marins, la création de Whale Seeker arrivait au bon moment. En effet, la gestion des activités telles que la navigation, l’énergie maritime, l’exploitation minière, les aménagements côtiers, la conservation et la recherche doit prendre en compte la signalisation des mammifères marins dans leurs zones d’exploitation pour se conformer aux réglementations, aux exigences en matière de permis ou pour atteindre des objectifs de durabilité internes. “Protéger et restaurer les populations mondiales de baleines est un élément essentiel pour maintenir et exploiter les systèmes de Carbone Bleu, car une seule baleine capture le carbone de milliers d’arbres et joue un rôle essentiel dans les cycles de séquestration du carbone dans les océans. Pourtant, les populations actuelles de baleines ne représentent qu’une fraction des effectifs historiques et sont confrontées à des menaces majeures et croissantes liées à l’activité maritime.” Emily voyait l’urgence de réduire les mortalités de baleines causées par l’homme, mais sans données facilement accessibles sur leur présence, les opérateurs offshore et les gestionnaires d’aires marines protégées ne pouvaient pas raisonnablement prendre de décisions pour réduire les impacts négatifs sur la biodiversité marine.


“Les gestionnaires de l’environnement avaient déjà leur façon d’aller chercher leurs images, notamment avec leurs propres avions. Ils n’avaient pas besoin d’être microgérés ni d’être aidés pour interpréter les données, ils sont les experts après tout, mais ils avaient plutôt besoin de trouver une façon fiable et rapide d’annoter les images. On a donc focalisé sur ça!” Whale Seeker offre donc l’expertise humaine et la technologie propriétaire de l’IA pour fournir des rapports de données de haute qualité qui facilitent la détection des mammifères marins. “Nos clients demeurent propriétaires de leurs images, elles ne seront jamais partagées autrement, mais nous donnent le droit d’utiliser leurs images pour les ajouter à l’algorithme, qui à son tour, devient de plus en plus performant. Au final, tous en bénéficient.” Selon Émily L’IA seule ne sert pas à grand-chose si elle n’est pas accessible et utile pour l’utilisateur qui peut en retour effectuer des tâches de filtration et de sélection. “On ne peut pas juste donner le code d’algorithme, il faut interagir avec l’IA, “précise Emily. Dans les pipelines d’IA traditionnels, les humains transmettent leur expertise à l’algorithme sous la forme de données d’entraînement – puis leur rôle est terminé. Mais que se passe-t-il si l’algorithme apprend ce qu’il peut à partir des données, mais qu’il ne parvient toujours pas à résoudre certains des « cas limites » les plus délicats ? Que faire si une ondulation dans l’eau ou un morceau de glace ressemble vraiment à une baleine, ou vice versa ? C’est là qu’interviennent les systèmes à interaction humaine que crée Whale Seeker, comme Möbius, leur outil d’analyse d’images aériennes à intervention humaine. Comme son homonyme, le ruban de Möbius unilatéral qui semble avoir deux côtés, notre Möbius intègre les jugements humains et de la machine dans un seul outil, permettant d’énormes gains d’efficacité sans sacrifier la fiabilité. Les experts participent activement en affinant constamment les données annotées à partir desquelles le modèle apprend. Ils détectent les erreurs en examinant les « cas limites » pour lesquels l’algorithme est le moins confiant, tout en renforçant les performances futures de l’algorithme, puisque les décisions de l’expert sur les cas limites sont utilisées pour réentraîner le modèle.

Démocratiser l’utilisation éthique de l’IA
« L’IA est un outil puissant qui peut être utilisé pour le bien, bien qu’il incombe à chaque entreprise de veiller à ce que son IA soit utilisée de manière éthique.” Selon Émily, la façon dont l’IA est développée est aussi importante que ce à quoi elle est utilisée. Whale Seeker adhère à la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle (IA). Cette déclaration propose un cadre éthique pour le développement et le déploiement de l’IA afin de parvenir à un développement inclusif, équitable et écologiquement durable. “Concrètement, on veut vraiment élever le standard sur la manière d’utiliser les technologies pour les mammifères marins, mais aussi, élever le standard éthique des IA en général.” Trop souvent, a constaté Emily, c’est la solution la moins chère qui gagne et les gens engagés pour annoter les images se retrouvent sous-payés. Selon la cofondatrice, il est important de lancer le message: “il faut dire aux gens de demander aux fournisseurs d’IA, comment leurs données sont récoltées, qui les récoltent et combien ils sont payés.“ Emily entend se positionner pour signaler l’importance d’une réelle l’éthique dans l’écosystème techno. Il n’est pas rare de voir des entreprises mentionner que leurs IA sont éthiques, mais comment s’en assurer? Pour la biologiste-entrepreneur, l’IA éthique ne peut pas être plus éthique que les gens qui la créent. L’un ne va pas sans l’autre, c’est un tout cohérent.
Whale Seeker entend se différencier pour sa rigueur scientifique et éthique. En pleine expansion, l’entreprise développe présentement une solution de détection des baleines en temps réel à l’aide d’images infrarouges, qui heureusement, permettra d’éviter des collisions de baleines. L’équipe souhaite non seulement avoir un meilleur impact sur la protection des mammifères marins, mais aussi, moins d’impacts sur l’industrie de la pêche durable, et ce, à l’échelle internationale. Parallèlement, les cofondateurs entament le programme Flots pro, notamment pour évaluer le marché en progression et sa segmentation. Whale Seeker est à la recherche d’investisseurs à plus grandes échelles et souhaite agrandir leur équipe au développement des affaires. Sur une note plus personnelle, le couple fondateur entend déménager à Rimouski, où un bureau mère y sera aussi probablement situé. Nous leur souhaitons la bienvenue au pôle de l’économie bleue québécoise!

À propos de l’auteure
Catherine Bernier
Directrice de création, rédactrice et photographe indépendante, Catherine Bernier est aussi diplômée en psychologie de l’orientation. Qu’elle se trouve à Sainte-Flavie, en Gaspésie (son village d’origine) ou en Nouvelle-Écosse (sa province d’adoption), elle cultive un lien privilégié avec l’océan et les territoires sauvages. L’influence du paysage naturel et culturel sur les trajectoires humaines demeure au cœur de ses intérêts. Par l’entremise de la photographie, elle entre en relation avec l’autre – parfois des oubliés de la société – pour mettre en lumière la singularité de leur vécu, telle une œuvre vivante façonnée par le temps.