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Innovation durable

Les bouées intelligentes de Devocean

By avril 29, 2022juillet 15th, 2022No Comments

Innovation durable :

Le système de pêche aux crabes sans cordage de Devocean

On estime à 30 000 le nombre d’objets fantômes reliés à l’industrie de la pêche dans le golf Saint-Laurent, sans compter, les labyrinthes de 80 000 cordes verticales utilisées pour la pêche aux crabes qui tapissent le fond marin.

De véritables pièges pour les mammifères marins, dont la baleine noire, en danger critique d’extinction. Devant ces constats, les mesures de protection de la faune marine se sont resserrées. Presque chaque jour, une nouvelle fermeture est annoncée par le Ministère Pêche et Océan Canada. C’est notamment ce qui a motivé Simon Therrien, cofondateur de la start-up Devocean et son équipe à créer une alternative éco-responsable à l’équipement de pêche traditionnel, mais tout autant durable et profitable pour les pêcheurs qui en dépendent. « On l’oublie trop souvent, mais l’industrie de la pêche est au centre de l’économie des villages côtiers. Si on l’élimine, les impacts seront énormes, » mentionne Simon, soucieux de répondre aux enjeux socio-économiques qui y sont rattachés, et ce, de manière durable.

C’est en collaborant avec les acteurs clés du milieu et en plaçant les pêcheurs au cœur de leur développement de produits qu’ils ont réussi à créer un prototype permettant d’éliminer les kilomètres de cordages qui relie chaque cage au fond de l’eau à une bouée à la surface.

Le système en 4 sous-produits innovants.

Devocean a d’abord développé une bouée submersive qui remonte à la surface sur demande à l’aide d’un système de communication acoustique. La bouée attachée directement sur la cage à crabes descend au fond de l’eau avec elle, puis est remontée à l’aide d’un signal, le temps que le pêcheur revienne la chercher. « Les systèmes de communications sur le marché étaient soit trop dispendieux, soit complètement inadaptés à l’industrie. On a donc créé notre propre système sonore qui émet un signal acoustique unique à chaque bouée, déclenché par le propriétaire, » précise Simon. Pour éviter la perte de temps et assurer la sécurité sur le bateau, l’équipe a conçu une unité de pont qui permet de rembobiner la corde à l’intérieur de la bouée, pendant que le pêcheur rapatrie la cage à bord du bateau. « On a aussi développé une application qui permet d’enregistrer les coordonnées GPS des bouées. » La start-up collabore avec des regroupements de pêcheurs et le Ministère Pêche et Océan Canada (MPO) pour trouver la meilleure solution de partage anonyme et sécuritaire des positions GPS des bouées autour d’un bateau, d’un même secteur.

Des tests concluants

Le système, initialement développé dans le cadre de leur projet de fin d’études à l’université de Sherbrooke, en est aujourd’hui à sa cinquième itération, en moins de deux ans. « C’était important pour nous de tester notre MVP (produit minimum viable) dès que possible sur le terrain ». Devocean a participé aux programmes d’incubation d’Espaces Inc. à Sherbrooke, au Ocean Startup Project et font partie du programme d’accélération personnalisé FLOTS PRO de Novarium. Ils bénéficient de subventions du ministère de l’Économie et de l’Innovation, du Fonds de la nature du Canada pour les espèces aquatiques en péril et du Fonds d’adoption des équipements pour la protection des baleines du MPO. À présent, six spécialistes en génie mécanique, robotique et informatique y travaillent à temps plein, au bureau de Grande-Rivière, dans le centre de recherche de Merinov en Gaspésie, où ils peuvent bénéficier d’équipement pour aller en mer et aussi, à Sherbrooke où ils peuvent accueillir des stagiaires spécialisés en développement technologique.

Les premiers tests auprès de pêcheurs locaux, notamment Daniel Desbois, président de l’Association des crabiers de la Gaspésie et René Cyr, ont permis de peaufiner leurs produits. « On les a laissés entre leurs mains, sans rien dire et ils ont été capables, naturellement, de les faire fonctionner. On a travaillé fort pour qu’il soit simple et intuitif. Les résultats sont positifs. » Même si certaines craintes persistent, Simon est compréhensif via les commentaires reçus, perçus comme constructifs. « C’est normal, on ne change pas facilement ses façons de faire établies et optimisées depuis des années, pour laisser place à l’électronique. »  Pour mettre en confiance les pêcheurs et éviter d’ajouter au problème de pêche fantôme, Simon et son équipe ont développé une deuxième, troisième et même quatrième méthode qui permet de récupérer la bouée à tout coup, en cas de problème. « Pour nous, c’était important de leur offrir un produit qui s’adapte le plus à leurs méthodes actuelles, qui évitent les manipulations supplémentaires et n’ajoutent pas aux problèmes de produits fantômes », renchérit Simon.

Présentement, l’équipe de Devocean amorce deux projets pilotes avec L’Association de gestion halieutique Mi’kmaq et Malécite (AGHAMM) et La Fédération canadienne de la faune (FCF) , en Nouvelle-Écosse. En faveur de la modernisation de leurs techniques de pêche, L’AGHAMM testera les produits de Devocean, notamment sur leurs bateaux-école, dès juin. Après avoir essayé les systèmes de communications acoustiques des États-Unis, la FCF a décidé d’essayer la solution que propose Devocean. « Ils ont entendu parler de nous dans un article et nous ont contactés pour collaborer. En Gaspésie, le homard se pêche près des côtes, alors qu’en Nouvelle-Écosse et sur la côte est américaine, le homard se pêche plus loin au large, ce qui augmente les risques d’empiétement marin. » Le système de Devocean pourrait donc aussi desservir l’industrie de la pêche aux homards.

En améliorant la cohabitation entre les activités humaines d’une importance économique vitale et les espèces en péril, Simon se sent confiant que leur système deviendra une solution durable, et ce, à court terme. Bientôt, l’entreprise débutera sa phase de commercialisation. « D’ici 2023, on devrait être capable de lancer une centaine de produits en circulation, avec une dizaine de pêcheurs à l’essai. En 2024, nous serons prêts à répondre à la demande du marché. » Simon prévoit établir une usine de production en partenariat avec des entreprises locales. Le futur est prometteur pour Devocean, au bénéfice de la vie marine et de l’industrie de la pêche, dont notre subsistance en dépend encore à ce jour.

À propos de l’auteure

Catherine Bernier

Directrice de création, rédactrice et photographe indépendante, Catherine Bernier est aussi diplômée en psychologie de l’orientation. Qu’elle se trouve à Sainte-Flavie, en Gaspésie (son village d’origine) ou en Nouvelle-Écosse (sa province d’adoption), elle cultive un lien privilégié avec l’océan et les territoires sauvages. L’influence du paysage naturel et culturel sur les trajectoires humaines demeure au cœur de ses intérêts. Par l’entremise de la photographie, elle entre en relation avec l’autre – parfois des oubliés de la société –  pour mettre en lumière la singularité de leur vécu, telle une œuvre vivante façonnée par le temps.

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